Profitez des photos !
lundi 11 février 2008
Tourisme
Profitez des photos !
dimanche 10 février 2008
Mission accomplie
Les enfants et adolescents du Ta Keo se sont montrés plus curieux aujourd’hui et sont venus en fin d’après-midi regarder le fonctionnement du scanner. La mission s’est terminée par l’habituelle photo de groupe. Nan, notre restauratrice, nous a offert quelques spécialités locales avant de partir : des boulettes de viande très goûtues dont la texture kloug a fait l’unanimité.
Demain, on fait relâche : nous allons visiter les villages flottants du Tonle Sap.
samedi 9 février 2008
Toujours le même boudin
Il ne nous faut pas cacher notre admiration devant la perfection des levés de Dumarçay et nous imaginons aisément l’abnégation de carabin dont il a fait preuve pour les réaliser. C’est donc presque gênés que nous installons enfin notre matériel de cartographie, un scanner laser, qui une fois livré puis réglé, balayera seul, sous un soleil de plomb, les surfaces du temple et nous délivrera un paquet de 300.000 données par quart de mètre-carré, autant de coordonnées géographiques qui permettront de reconstituer en 3D et au dixième de millimètre près la géométrie du temple et de ces sculptures. Mais ne croyez pas que pendant que le scanner scanne, l’équipe se repose à l’ombre. Bien au contraire : la mesure laser est d’autant plus aisée que la luminosité environnante est basse (idéalement, inférieure à 500 lux), or en plein soleil la luminosité dépasse les 70000 lux ce qui rend l’appareil totalement aveugle… Puisque nous ne pouvons travailler de nuit (le site d’Angkor est normalement fermé et il est peu recommander d’y passer la nuit), il nous faut créer notre propre « obscurité » sur les parois à cartographier… Olivier et Franck se sont donc improvisés emballeurs de monuments déployant, tel Cristo sur le Pont-Neuf, de grandes bâches bleues et blanches qui permettent d’obscurcir les parois et rendent la visée laser possible.
La température est telle qu’un travail en petite tenue est de rigueur. Au bout de quatre jours de photogrammétrie et lasergrammétrie sur la même portion de gradin du temple, nos deux opérateurs commencent presque à se plaindre : « finalement, on aura passé notre temps sur le même boudin ».
Ce travail de lasergrammétrie, comparé aux levés de 1967, est le premier qui permettra de quantifier la surface détruite par l’érosion en quarante ans. Mais il est surtout un état des lieux extrêmement précis qui va permettre de suivre l’évolution de ces surfaces dans les années à venir et d’y déceler la moindre nouvelle égratignure…
La journée a également été celle des interviews vidéo que nous réalisons pour un suivi documentaire du programme et l'occasion pour Marie-Francoise de terminer les relevés de météorisation entamés en 2006.
jeudi 7 février 2008
Des polaires sous les Tropiques
Et pourtant, il s’agit là d’une illustration que la recherche fondamentale – cette ogresse qui avalerait sans remords des crédits publics et ne produirait jamais rien de « rentable » –, cette recherche fondamentale, par essence gratuite et a priori inutile peut s’avérer, un jour, quasiment à l’insu de son plein gré, d’une utilité tout à coup éclatante. Pensez : il ne s’agit, ici, rien de moins que proposer des solutions pour conserver un des joyaux culturels du Patrimoine mondial de l’Humanité.
En effet, les techniques d’étude de la dégradation naturelle des fines sculptures khmères sur les temples en grès d’Angkor s’appuient sur des années de recherches menées, de 1979 à 2005, en milieux polaires et subpolaires, du Spitsberg à l’Islande, de la Laponie au Labrador, de l’Antarctique aux îles Féroé. Les méthodes de quantification des vitesses de destruction des roches et minéraux qui avait été mises au point pour des surfaces rocheuses polies et sculptées par le passage des glaciers sont désormais transférées à des surfaces rocheuses polies et sculptées par l’Homme… Certes l’agent qui a façonné la pierre diffère, les processus de destruction aussi, mais la façon de les aborder, les manières de rendre compte des modalités et des vitesses de destruction des dentelles de grès ou des pulpeuses Apsara par les agents atmosphériques et biologiques sont, quant à elles, bien les mêmes (on doit quand même avouer que les membres masculins de l’équipe semblent considérer avec davantage d’attention l’évolution des courbes des poitrines des danseuses célestes qu’ils ne le faisaient avec les dos de baleine* glaciaires des contrées boréales).
Sans cette expérience préalable, les chercheurs en charge de la conservation des temples joueraient inévitablement aux apprentis sorciers avec ces trésors culturels ; ainsi, il y a quelques années, certaines équipes (soyons fair-play, ne les nommons pas) avaient proposé de protéger les temples en les recouvrant d’un vernis isolant… Mal leur en a pris : ce vernis contenant de la matière organique, il s’est avéré un lieu de résidence providentiel pour champignons et bactéries qui, recourant à de véritables guerres chimiques pour conquérir l’espace, ont détruit en quelques années, tout microbes qu’ils sont, l’écorce finement sculptée du temple millénaire. Une bonne dose de recherche fondamentale en amont aurait probablement permis d’éviter ce désastre scientifico-culturel…
Nous continuons notre travail en deux équipes parallèles ; Denis et moi continuons nos relevés colorimétriques, mais aujourd’hui, les enfants du Chau Say Tedovah nous ont observé toute la matinée, amusée par le flash du colorimètre, une compagnie avouons-le beaucoup plus agréable que celle des convois de touristes japonais qui nous demandent, eux, de nous pousser pour pouvoir prendre leurs myriades de photos…
* Dans le langage géomorphologique, les dos de baleine sont des affleurements rocheux bombés sculptés par le passage des glaciers. Leur silhouette évoque celle des mammifères marins lorsqu’ils viennent respirer en surface.
mercredi 6 février 2008
Notre nouvel an chinois
Les Cambodgiens étant d’une grande générosité, Franck et Olivier ont reçu d’autres offrandes avec un jour d’avance : au petit matin, cinq gros cartons les attendaient… eh oui, la station totale, le scanner 3D et le groupe électrogène sont parmi nous.
Bilan : ils ont passé presque onze heures sur le terrain à faire joujou avec le Ta keo.
Avec Denis, nous avons improvisé l’étude du Chau Say Tevodah, un temple à proximité du Ta Keo récemment restauré par les Chinois. Nous avons de quoi faire de nombreux calages chronologiques et l’étude colorimétrique s’avère très prometteuse. La philosophie de restauration chinoise est assez décriée car de nombreuses pierres ont remises à neuf et le temple, construit aux 11-12e siècles, dénote un peu dans le paysage passablement ruiniforme d’Angkor. Pourtant, on constate que dans certaines conditions des pierres taillées en 2004, 2005 voire même 2006 paraissent aussi vieilles que les pierres originelles si l’on se contente de les observer à quelques mètres de distance (ce que font 99,9% des visiteurs…).
L'utilisation du colorimètre : attention au risque d'entorse de l'index !
United Colors of Baphuon
Le plus grand puzzle du monde, en trois dimensions de surcroît, et avec des pièces pesant plusieurs dizaines de kilos chacune… On pensait le Baphuon perdu à jamais, d’autant que certaines pierres sculptées furent pillées. Mais les scientifiques de l’EFEO ne baissèrent pas les bras. En 1995, Pascal Royère décida de tenter le remontage du temple avec l’aide d’un programme informatique. Pari réussi ! Ce puzzle sera terminé courant 2009 et le Baphuon retrouve progressivement sa splendeur d’antan.
Quelques pièces du puzzle Baphuon
Mais que faisons-nous donc sur le Baphuon puisque c’est Ta Keo le cœur de notre programme ? N’allez pas croire que privés de matériel nous faisons du tourisme. Même si un tour de Bayon à dos d’éléphant fait très envie à Franck. Le grès, une fois extrait de la carrière sous forme de blocs quadrangulaires, se transforme sous l’action de tout un panel processus physiques, chimiques ou biologiques que l’on regroupe sous le terme de météorisation. L’épiderme rocheux est vivant : sa porosité se modifie, sa minéralogie se transforme, sa texture évolue. Un des signes éclatants de cette transformation est la couleur changeante de la pierre : une patine se forme et le grès, de verdâtre lorsqu’il est frais et sain, vire au brun orangé lorsqu’il est altéré ou à mesure que les limons ocre échappés de la latérite et importés par le vent viennent se fixer à sa surface. La vitesse d’acquisition de cette patine par les grès angkoriens n’est pas connue par les scientifiques. Or, ce paramètre serait un élément supplémentaire permettant d’estimer la vitesse de renouvellement de la surface du Ta Keo. L’intérêt du Baphuon surgit tout à coup : certaines pierres sont contemporaines (elles remplacent les pièces volées) et ont été placées à une date connue avec précision (deux périodes de restauration : entre 1965 et 1970 pour les bibliothèques ; depuis 1996 pour le temple lui-même). Nous pouvons donc observer la transformation progressive de ces pierres en comparant les plus récentes (celles que taillent sous nos yeux les ouvriers cambodgiens) avec celles placées précédemment.
Ceux qui travaillent assis au soleil surveillent ceux qui travaillent assis à l'ombre...
Pour qualifier objectivement la couleur de ces surfaces rocheuses, nous utilisons un spectrophotomètre. Nous dévoyons un appareil dont l’usage habituel se situe davantage dans l’industrie (couleur du papier, couleur de plastiques, couleur de peintures, couleur des fromages, etc.) ou le monde médical (suivi de cicatrisation par la couleur des cicatrices) qu’au milieu d’une jungle tropicale. Mais les géomorphologues ont l’habitude de ces détournements : le marteau Schmidt qu’utilisent les cimentiers pour mesurer la résistance des bétons a ainsi été recyclé dans la mesure de la résistance des roches (une mesure qui renseigne incidemment sur leur degré d’altération) voire même dans la datation de dépôt (morainiques par exemple).
Le spectrophotomètre est une lampe au xénon qui un émet un flash dans une sphère blanche percée. Le trou (d’un diamètre de
L’intérêt de cet appareil est de rendre la mesure objective et invariable d’un jour à l’autre ou d’un opérateur à l’autre : imaginez la qualité d’un débat scientifique entre un opérateur qui voit une surface rouge étrusque et son voisin qui ne démord pas du fait qu’elle est plutôt rouge Titien voire couleur cuir de Russie… encore plus si l’un des deux est daltonien… Au moins, désormais, nous ne pouvons qu’être d’accord. Même si la poésie en prend un sacré coup.
L’arlésienne « scanner 3D/ station totale » nous fait toujours passer par toutes les couleurs : ce matin, à 6h30 (oui, Raphaël : six heure trente !), alors que nous nous apprêtions à prendre le petit-déjeuner, un coup de fil nous apprend que le matériel pourrait être débloquer si nous obtenons l’accord écrit du directeur de l’Autorité APSARA, organisme en charge de la conservation du site d’Angkor. On imagine alors mal obtenir cela en moins de 24 heures, voire en moins d’une semaine. Une folle journée émaillée de coups de téléphone, fax, et autres emails commence pour Marie-Françoise. En attendant, Franck et Olivier entame la photogrammétrie système D, sans station totale, mais avec des repères faits maison. Le soir, un premier traitement rapide des données donne des résultats déjà encourageants. Les stratégies de perfectionnement émergent pour le lendemain. On sent que l’espoir renaît. 22 heures dernier coup de téléphone de la journée. On nous annonce que le matériel sera livré à l’hôtel dès 6h30 le lendemain matin. « Champagne ! » s’écrierait-on en temps normal. Ce sera plutôt une autre boisson à bulles, sans alcool, marron et très sucrée…
lundi 4 février 2008
La nuit tous les chats noirs sont gris
Nous partons quand même sur le Ta Keo et à 10h on retrouve enfin « notre » monument. Ce temple-montagne fut érigé à la fin du Xe siècle, entre l’an 975 et l’an 1000 environ durant le règne de Jayavarman V (968- c.1000). Jadis nommé « la Montagne aux sommets d’or », il a la particularité d’être le premier temple angkorien armé de grès de la base au sommet. Comme les autres temples, il est fait d’un tas de sable contenu par une structure en latérite, cette dernière étant donc, ici, recouverte par un coffrage en grès. Ta Keo marque l’aboutissement du temple-montagne khmer. Sa pyramide présente des dimensions colossales : 100 m x 120 m à la base, 47 m x 47 m au sommet de la plate-forme supérieure qui domine de 38 m le sol environnant. Ce temple-montagne à cinq gradins est surmonté par cinq tours, allégorie terrestre des cinq sommets du Mont Méru de la tradition hindoue. Il faut être au pied de ce monument pour se rendre compte de son imposante stature : assurément les escaliers qui parent ces bâtiments n’étaient pas faits pour être gravis quatre à quatre : les marches sont étroites (une dizaine de centimètres de profondeur) et leur hauteur dépasse parfois 50 cm ! Il est amusant de voir les touristes pressés (ceux qui veulent « cocher » le maximum de temples en une journée, ces adeptes du « clic-clac Kodak, j’y étais la preuve » qui avalent les kilomètres de pistes poussiéreuses, le plus rapidement possible, s’arrêtent deux minutes, parfois trois, « immortalisent » le moment parfois sans descendre du tuk-tuk, et repartent vers la cible suivante…), voir ces touristes pressés donc, s’élancer sourire aux lèvres et casquette bien vissée sur le crâne, perdre très vite le sourire, souffler bruyamment, suer à grosses gouttes, atteindre le premier gradin, ôter leur couvre-chef, lever la tête, se dire que le sommet est finalement encore loin, reprendre l’ascension plus humblement, caler au deuxième gradin, jeter un œil noir à cette pyramide narquoise située encore 20 m au-dessus de leur tête, s’essuyer le front, jeter un œil en bas, prêt à renoncer, un rapide coup d’œil alentour, constater qu’ils sont observés, que leur déficience brutale ne passe pas inaperçue, bien au contraire même, elle n’en est que plus flagrante, reprendre l’ascension, une marche, deux, trois, et puis, non, le corps dit non, la mécanique se dérègle, ils se retournent, s’assoient, s’intéressent tout à coup à la texture de la roche, passent un doigt sur la pierre, comme s’ils avaient sué sang et eau pour cela justement : venir s’asseoir sur une marche trop étroite, à mi-hauteur et faire une photo de la surface rocheuse…
Privés de scanner 3D, nous frôlons le chômage technique... alors nous ressortons les fidèles réglets métalliques, une valeur sure qui passe la douane sans problème.
Ceci n'est pas une réunion Tupperware....
Peut-être trop enclins à terminer le dernier gradin, nous n’avons pas trop regarder la montre… la nuit tombe vite et le secteur de Ta Keo est peu fréquenté… plus un seul tuk-tuk libre pour nous ramener sur Siem reap, il faut bien se faire à l’idée qu’il faut rejoindre au plus vite le secteur du Bayon où, normalement, il y a un peu plus de circulation. La nuit est désormais tombée, des sons nouveaux montent de la forêt. Insensiblement, il semblerait que notre pas se fait plus rapide. On disserte sur le nom que l’on donne aux cris des chauves-souris (« elles sifflent » ?), quels oiseaux caquètent ? et les tigres ? feulent-ils ?
Au loin, à environ un kilomètre, nous voyons passer des lumières près de la terrasse aux éléphants. Au fur et à mesure que nous approchons, ces lumières filantes se font moins nombreuses. On se concerte sur le temps de marche pour sortir du site… on se met d’accord sur 2h30 à 3h. Bref, les estomacs gargouillent (çà au moins on est tous d’accord sur le terme) et le dîner est encore loin. Très loin. Tout à coup une mobylette arrive derrière nous. Un garde du parc pense-t-on. Un policier en fait. On lui explique notre léger problème. Quelques échanges en talkie-walkie et il accepte d’embarquer l’un d’entre nous jusqu’à la route principale. Courageusement, nous sacrifions tous en chœur Marie-Françoise qui saute aussitôt sur le porte-bagages de la mobylette…et disparaît dans la nuit. La reverrons-nous ?
Arrivés au bout de cette interminable ligne droite qui nous amène à la terrasse aux éléphants, notre chef de mission est en pleine négociation avec la police locale qui est disposée à nous ramener à l’hôtel contre une petite « gratification ». Ce n’est donc pas un retour en panier à salade digne de ce nom, mais nous voilà bien escortés tout de même.
La police, c'est fantastique !
Rassurez-vous, tout ceci s'est terminé autour d'un inévitable amok et de quelques Tiger beer (elles ne feulent pas, elles défilent).