lundi 11 février 2008

Tourisme

Veille du départ : journée tourisme. Autour du Tonle Sap le matin, visite d’un village flottant. Les rizières alentours. Le Ta Phrom : un temple qui se bat contre les ficus étrangleurs.Beaucoup d’enfants : la jeunesse de la population cambodgienne nous étonne chaque jour.
Profitez des photos !


Ta Prohm





dimanche 10 février 2008

Mission accomplie

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C’est dans la boîte ! Pas repos dominical pour l’équipe. Malgré un préavis de grève déposé en bonne et due forme auprès de notre patronne, nous avons dû renoncer à l’un de nos acquis sociaux ancestraux pour rejoindre une nouvelle et dernière fois Ta Keo. Cette fois, on a définitivement fait le tour du gros boudin. Franck et Olivier, très confiants, ont même décidé de tester les limites de leur machine ; la question était « combien peut-on faire de scannages sans sauvegarder et sans planter la machine ? » La réponse est 21. A la 22e tentative, le logiciel a planté et toutes les données ont disparu. Autre question : « peut-on tenir une journée sans remplir le réservoir du groupe électrogène ? » La réponse est non. Les marchands du temple sont allés nous trouver un litre d’essence jaune Fanta au Ta Prohm et ont a pu continuer l’acquisition. Bref, comme nous étions finalement en avance, il fallait bien pimenter notre journée… à ce propos, celui qui a planqué la chaussure de Denis au milieu de la jungle a un gage puisqu’on ne l’a pas retrouvée…




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Les enfants et adolescents du Ta Keo se sont montrés plus curieux aujourd’hui et sont venus en fin d’après-midi regarder le fonctionnement du scanner. La mission s’est terminée par l’habituelle photo de groupe. Nan, notre restauratrice, nous a offert quelques spécialités locales avant de partir : des boulettes de viande très goûtues dont la texture kloug a fait l’unanimité.


Demain, on fait relâche : nous allons visiter les villages flottants du Tonle Sap.



samedi 9 février 2008

Toujours le même boudin

Fin du travail sur le Chau Sey Tevodah pour Denis et moi, 450 pierres, 2500 à 3000 mesures et un début d’insolation plus tard, nous abandonnons nos apprenties géomorphologues qui tout en nous aidant à mesurer les bâtiments nous ont aussi appris à compter en khmer. Retour sur Ta Keo. L’équipe est de nouveau réunie.

De jeunes aides de terrain

Du point de vue scientifique, le Ta Keo est une véritable offrande qui vaut bien quelques sacrifices (monter presque 70 kg de matériel chaque jour, jouer les équilibristes sur les marches trop étroites, jongler au-dessus du vide avec le scanner 3D – si, si Franck sait faire) : achevé sur le plan de la mégastructure, il n’a été que partiellement sculpté car abandonné brusquement pour des raisons en grande partie inconnue : de vieilles inscriptions évoqueraient la foudre s’abattant sur le temple et interprétées comme un mauvais présage ; autre hypothèse, plus pragmatique : la mort de son commanditaire et l’abandon pur et simple du chantier au profit d’un nouveau temple à construire… Résultat tangible, le temple présente dorénavant des interfaces rocheuses dont la mise en œuvre est variée : blocs grossièrement taillés, blocs polis, blocs épannelés (on distingue les traces d’outils du carrier) ; blocs moulurés (le profil des moulures est dessiné dans ses grandes lignes) ; blocs finement ciselés. Ces modénatures ont été levées minutieusement en 1967 par Jacques Dumarçay, architecte de l’École Française d’Extrême-Orient, et constituent aujourd’hui un état des lieux plus que précieux.
Il ne nous faut pas cacher notre admiration devant la perfection des levés de Dumarçay et nous imaginons aisément l’abnégation de carabin dont il a fait preuve pour les réaliser. C’est donc presque gênés que nous installons enfin notre matériel de cartographie, un scanner laser, qui une fois livré puis réglé, balayera seul, sous un soleil de plomb, les surfaces du temple et nous délivrera un paquet de 300.000 données par quart de mètre-carré, autant de coordonnées géographiques qui permettront de reconstituer en 3D et au dixième de millimètre près la géométrie du temple et de ces sculptures. Mais ne croyez pas que pendant que le scanner scanne, l’équipe se repose à l’ombre. Bien au contraire : la mesure laser est d’autant plus aisée que la luminosité environnante est basse (idéalement, inférieure à 500 lux), or en plein soleil la luminosité dépasse les 70000 lux ce qui rend l’appareil totalement aveugle… Puisque nous ne pouvons travailler de nuit (le site d’Angkor est normalement fermé et il est peu recommander d’y passer la nuit), il nous faut créer notre propre « obscurité » sur les parois à cartographier… Olivier et Franck se sont donc improvisés emballeurs de monuments déployant, tel Cristo sur le Pont-Neuf, de grandes bâches bleues et blanches qui permettent d’obscurcir les parois et rendent la visée laser possible.

Sous ces bâches, Olivier a installé son bureau (on envisage même de lui construire un couloir qu’il pourra traverser de manière inopinée, à la manière dont les Cambodgiens abordent les croisements en quelque sorte). Tel le colonel Kadhafi, Franck reçoit sous la tente et explique à qui veut la subtilité du scannage laser ; certaines touristes se montrent très intéressées, mais il faut très vite leur préciser que cela n’a rien à voir avec l’épilation laser…



La température est telle qu’un travail en petite tenue est de rigueur. Au bout de quatre jours de photogrammétrie et lasergrammétrie sur la même portion de gradin du temple, nos deux opérateurs commencent presque à se plaindre : « finalement, on aura passé notre temps sur le même boudin ».

Conciliabule sous la tente : comment bien aborder le boudin.


Évidemment, l’artifice vivement coloré déployé sur les parois du temple n’a pas manqué d’interloquer les autorités locales et ce sont gardiens du temple et policiers qui se succèdent les uns après les autres pour vérifier que nous disposons des autorisations nécessaires. La missive, écrite en khmer, que nous a fourni le directeur de l’autorité APSARA leur donne en tous les cas matière à discussion.


Ce travail de lasergrammétrie, comparé aux levés de 1967, est le premier qui permettra de quantifier la surface détruite par l’érosion en quarante ans. Mais il est surtout un état des lieux extrêmement précis qui va permettre de suivre l’évolution de ces surfaces dans les années à venir et d’y déceler la moindre nouvelle égratignure…
La journée a également été celle des interviews vidéo que nous réalisons pour un suivi documentaire du programme et l'occasion pour Marie-Francoise de terminer les relevés de météorisation entamés en 2006.



jeudi 7 février 2008

Des polaires sous les Tropiques

De prime abord, retrouver l’équipe polaire de GEOLAB au milieu de la jungle cambodgienne ne manque pas de piment (c’est donc en parfait accord avec la cuisine khmère). D’aucun crierait même à la faute de goût !
Et pourtant, il s’agit là d’une illustration que la recherche fondamentale – cette ogresse qui avalerait sans remords des crédits publics et ne produirait jamais rien de « rentable » –, cette recherche fondamentale, par essence gratuite et a priori inutile peut s’avérer, un jour, quasiment à l’insu de son plein gré, d’une utilité tout à coup éclatante. Pensez : il ne s’agit, ici, rien de moins que proposer des solutions pour conserver un des joyaux culturels du Patrimoine mondial de l’Humanité.
En effet, les techniques d’étude de la dégradation naturelle des fines sculptures khmères sur les temples en grès d’Angkor s’appuient sur des années de recherches menées, de 1979 à 2005, en milieux polaires et subpolaires, du Spitsberg à l’Islande, de la Laponie au Labrador, de l’Antarctique aux îles Féroé. Les méthodes de quantification des vitesses de destruction des roches et minéraux qui avait été mises au point pour des surfaces rocheuses polies et sculptées par le passage des glaciers sont désormais transférées à des surfaces rocheuses polies et sculptées par l’Homme… Certes l’agent qui a façonné la pierre diffère, les processus de destruction aussi, mais la façon de les aborder, les manières de rendre compte des modalités et des vitesses de destruction des dentelles de grès ou des pulpeuses Apsara par les agents atmosphériques et biologiques sont, quant à elles, bien les mêmes (on doit quand même avouer que les membres masculins de l’équipe semblent considérer avec davantage d’attention l’évolution des courbes des poitrines des danseuses célestes qu’ils ne le faisaient avec les dos de baleine* glaciaires des contrées boréales).
Des dos de baleine aux poitrines des Apsaras, les géomorphologues étudient les formes de relief...

Sans cette expérience préalable, les chercheurs en charge de la conservation des temples joueraient inévitablement aux apprentis sorciers avec ces trésors culturels ; ainsi, il y a quelques années, certaines équipes (soyons fair-play, ne les nommons pas) avaient proposé de protéger les temples en les recouvrant d’un vernis isolant… Mal leur en a pris : ce vernis contenant de la matière organique, il s’est avéré un lieu de résidence providentiel pour champignons et bactéries qui, recourant à de véritables guerres chimiques pour conquérir l’espace, ont détruit en quelques années, tout microbes qu’ils sont, l’écorce finement sculptée du temple millénaire. Une bonne dose de recherche fondamentale en amont aurait probablement permis d’éviter ce désastre scientifico-culturel…
Nous continuons notre travail en deux équipes parallèles ; Denis et moi continuons nos relevés colorimétriques, mais aujourd’hui, les enfants du Chau Say Tedovah nous ont observé toute la matinée, amusée par le flash du colorimètre, une compagnie avouons-le beaucoup plus agréable que celle des convois de touristes japonais qui nous demandent, eux, de nous pousser pour pouvoir prendre leurs myriades de photos…
En rentrant, jour férié oblige, l’unique porte de sortie d’Angkor Thom (de la largeur d’un car plus une paume de main de chaque côté) était prise d’assaut par une file de piétons, une de vélos, une de motos, une de tuk-tuk, une de voitures, une de 4x4 et une de cars, dans chaque sens évidemment ; comme si toute le circulation remontant et descendant les Champs-élysées s’acharnait à vouloir absolument passer, en alternance, sous l’Arc de triomphe. Bloqué près d’une demi-heure dans ce capharnaüm polluant, nous avons donc fait le plein de CO2 et de monoxyde carbone.
* Dans le langage géomorphologique, les dos de baleine sont des affleurements rocheux bombés sculptés par le passage des glaciers. Leur silhouette évoque celle des mammifères marins lorsqu’ils viennent respirer en surface.

mercredi 6 février 2008

Notre nouvel an chinois

Le Nouvel an chinois sera célébré toute la journée de demain, jeudi, mais les offrandes s’accumulent à l’entrée de notre hôtel depuis quelques jours déjà. Au retour du terrain, c’est un cochon bien gras et des poulets fumés qui trônent pour quelques heures encore devant la réception.




Les Cambodgiens étant d’une grande générosité, Franck et Olivier ont reçu d’autres offrandes avec un jour d’avance : au petit matin, cinq gros cartons les attendaient… eh oui, la station totale, le scanner 3D et le groupe électrogène sont parmi nous.


C'était pas sur ma liste au Père Noel...


Ah, ma station totale!


Bilan : ils ont passé presque onze heures sur le terrain à faire joujou avec le Ta keo.




Avec Denis, nous avons improvisé l’étude du Chau Say Tevodah, un temple à proximité du Ta Keo récemment restauré par les Chinois. Nous avons de quoi faire de nombreux calages chronologiques et l’étude colorimétrique s’avère très prometteuse. La philosophie de restauration chinoise est assez décriée car de nombreuses pierres ont remises à neuf et le temple, construit aux 11-12e siècles, dénote un peu dans le paysage passablement ruiniforme d’Angkor. Pourtant, on constate que dans certaines conditions des pierres taillées en 2004, 2005 voire même 2006 paraissent aussi vieilles que les pierres originelles si l’on se contente de les observer à quelques mètres de distance (ce que font 99,9% des visiteurs…).


Bibliothèque sud de Chau say tevodah restaurée en 2003
Bibliothèque nord de Chau say tevodah restaurée en 2006
Dans quelques années, il est fort probable que l’ensemble des bibliothèques, tours, sanctuaire et gopura auront retrouvé leur cachet d’antan. Au millième point mesuré dans la journée et au centième visiteur renseigné (« what are you doing to this temple build by the people of China ? » a-t-on même entendu de la part de visiteurs pékinois apparemment mal renseignés sur les frontières de leur pays d’origine), nous avons plié boutique.

L'utilisation du colorimètre : attention au risque d'entorse de l'index !

United Colors of Baphuon

Le Baphuon (prononcer : bapouonne) est un temple-montagne dont l’histoire aurait pu être écrite par les meilleures scénaristes d’Hollywood : grandeur, décadence, anéantissement puis résurrection ont jalonné les 1000 ans de cet édifice bâti à la gloire de Udayâdityavarman II. Comme tous les autres monuments angkoriens, le Baphuon a connu une « hibernation » sous couvert forestier de 5 siècles. Redécouvert au 19e siècle par les scientifiques de l’EFEO, l’édifice présentait de graves faiblesses structurales menaçant son maintien. En 1945, des éboulements furent observés. Une reconstruction par anastylose – une méthode ayant fait ses preuves ailleurs – fut décidée et les travaux commencèrent en 1961 sous la direction de Bernard-Philippe Groslier. Une à une, les pierres du Baphuon furent déposées et stockées dans la jungle environnante. Chaque pièce fut scrupuleusement numérotée et son emplacement consigné avec minutie dans des registres. Au début des années 1970, il ne restait à l’emplacement du Baphuon central que le tas de sable originel que les ingénieurs allaient faire habiller de béton afin de remonter le temple sur une assise solide. Indirectement, les Khmers rouges allaient en décider autrement : envahissant Phnom Penh, ils détruisirent dans la folie meurtrière qui les animaient les précieux cahiers de dépose. 300 000 pierres redevenues désormais anonymes se trouvaient ainsi éparpillées sur près de 10 ha dans la jungle.

Le plus grand puzzle du monde, en trois dimensions de surcroît, et avec des pièces pesant plusieurs dizaines de kilos chacune… On pensait le Baphuon perdu à jamais, d’autant que certaines pierres sculptées furent pillées. Mais les scientifiques de l’EFEO ne baissèrent pas les bras. En 1995, Pascal Royère décida de tenter le remontage du temple avec l’aide d’un programme informatique. Pari réussi ! Ce puzzle sera terminé courant 2009 et le Baphuon retrouve progressivement sa splendeur d’antan.



Quelques pièces du puzzle Baphuon


Mais que faisons-nous donc sur le Baphuon puisque c’est Ta Keo le cœur de notre programme ? N’allez pas croire que privés de matériel nous faisons du tourisme. Même si un tour de Bayon à dos d’éléphant fait très envie à Franck. Le grès, une fois extrait de la carrière sous forme de blocs quadrangulaires, se transforme sous l’action de tout un panel processus physiques, chimiques ou biologiques que l’on regroupe sous le terme de météorisation. L’épiderme rocheux est vivant : sa porosité se modifie, sa minéralogie se transforme, sa texture évolue. Un des signes éclatants de cette transformation est la couleur changeante de la pierre : une patine se forme et le grès, de verdâtre lorsqu’il est frais et sain, vire au brun orangé lorsqu’il est altéré ou à mesure que les limons ocre échappés de la latérite et importés par le vent viennent se fixer à sa surface. La vitesse d’acquisition de cette patine par les grès angkoriens n’est pas connue par les scientifiques. Or, ce paramètre serait un élément supplémentaire permettant d’estimer la vitesse de renouvellement de la surface du Ta Keo. L’intérêt du Baphuon surgit tout à coup : certaines pierres sont contemporaines (elles remplacent les pièces volées) et ont été placées à une date connue avec précision (deux périodes de restauration : entre 1965 et 1970 pour les bibliothèques ; depuis 1996 pour le temple lui-même). Nous pouvons donc observer la transformation progressive de ces pierres en comparant les plus récentes (celles que taillent sous nos yeux les ouvriers cambodgiens) avec celles placées précédemment.




Ceux qui travaillent assis au soleil surveillent ceux qui travaillent assis à l'ombre...


Pour qualifier objectivement la couleur de ces surfaces rocheuses, nous utilisons un spectrophotomètre. Nous dévoyons un appareil dont l’usage habituel se situe davantage dans l’industrie (couleur du papier, couleur de plastiques, couleur de peintures, couleur des fromages, etc.) ou le monde médical (suivi de cicatrisation par la couleur des cicatrices) qu’au milieu d’une jungle tropicale. Mais les géomorphologues ont l’habitude de ces détournements : le marteau Schmidt qu’utilisent les cimentiers pour mesurer la résistance des bétons a ainsi été recyclé dans la mesure de la résistance des roches (une mesure qui renseigne incidemment sur leur degré d’altération) voire même dans la datation de dépôt (morainiques par exemple).


Le spectrophotomètre est une lampe au xénon qui un émet un flash dans une sphère blanche percée. Le trou (d’un diamètre de 8 mm) à la base de la sphère est en contact avec la surface colorée. Lorsque le flash se déclenche, la surface de la roche est éclairée et renvoie la lumière. Un capteur situé au sommet de la sphère analyse instantanément ce signal retour et le transforme en une série de chiffres suivant un système de codage des couleurs (en l’occurrence, le CIE L*a*b* pour ceux qui veulent vraiment tout savoir). La mesure est a priori simple à réaliser, mais la nécessité de trouver des surfaces verticales et de dimensions correctes oblige à quelques acrobaties.


L’intérêt de cet appareil est de rendre la mesure objective et invariable d’un jour à l’autre ou d’un opérateur à l’autre : imaginez la qualité d’un débat scientifique entre un opérateur qui voit une surface rouge étrusque et son voisin qui ne démord pas du fait qu’elle est plutôt rouge Titien voire couleur cuir de Russie… encore plus si l’un des deux est daltonien… Au moins, désormais, nous ne pouvons qu’être d’accord. Même si la poésie en prend un sacré coup.

L’arlésienne « scanner 3D/ station totale » nous fait toujours passer par toutes les couleurs : ce matin, à 6h30 (oui, Raphaël : six heure trente !), alors que nous nous apprêtions à prendre le petit-déjeuner, un coup de fil nous apprend que le matériel pourrait être débloquer si nous obtenons l’accord écrit du directeur de l’Autorité APSARA, organisme en charge de la conservation du site d’Angkor. On imagine alors mal obtenir cela en moins de 24 heures, voire en moins d’une semaine. Une folle journée émaillée de coups de téléphone, fax, et autres emails commence pour Marie-Françoise. En attendant, Franck et Olivier entame la photogrammétrie système D, sans station totale, mais avec des repères faits maison. Le soir, un premier traitement rapide des données donne des résultats déjà encourageants. Les stratégies de perfectionnement émergent pour le lendemain. On sent que l’espoir renaît. 22 heures dernier coup de téléphone de la journée. On nous annonce que le matériel sera livré à l’hôtel dès 6h30 le lendemain matin. « Champagne ! » s’écrierait-on en temps normal. Ce sera plutôt une autre boisson à bulles, sans alcool, marron et très sucrée…


lundi 4 février 2008

La nuit tous les chats noirs sont gris

Décidément le Cambodge 2008 ne ressemble en rien à celui de 2006 ; nouvelle déconvenue en ce lundi matin : le matériel est toujours bloqué à Phnom penh dans l’attente d’un accord d’importation temporaire de la part des douanes… Au mieux nous le récupèrerons mercredi soir, mais Pascal Royère, enseignant-chercheur à l’EFEO et responsable de la reconstruction du Baphuon, nous rassure en nous relatant la rétention de près de six mois d’une grue de chantier… alors 3 jours de plus… Olivier et Franck font un peu la grimace, on les comprend… Y aurait-il un chat noir dans l’équipe ?
Nous partons quand même sur le Ta Keo et à 10h on retrouve enfin « notre » monument. Ce temple-montagne fut érigé à la fin du Xe siècle, entre l’an 975 et l’an 1000 environ durant le règne de Jayavarman V (968- c.1000). Jadis nommé « la Montagne aux sommets d’or », il a la particularité d’être le premier temple angkorien armé de grès de la base au sommet. Comme les autres temples, il est fait d’un tas de sable contenu par une structure en latérite, cette dernière étant donc, ici, recouverte par un coffrage en grès. Ta Keo marque l’aboutissement du temple-montagne khmer. Sa pyramide présente des dimensions colossales : 100 m x 120 m à la base, 47 m x 47 m au sommet de la plate-forme supérieure qui domine de 38 m le sol environnant. Ce temple-montagne à cinq gradins est surmonté par cinq tours, allégorie terrestre des cinq sommets du Mont Méru de la tradition hindoue. Il faut être au pied de ce monument pour se rendre compte de son imposante stature : assurément les escaliers qui parent ces bâtiments n’étaient pas faits pour être gravis quatre à quatre : les marches sont étroites (une dizaine de centimètres de profondeur) et leur hauteur dépasse parfois 50 cm ! Il est amusant de voir les touristes pressés (ceux qui veulent « cocher » le maximum de temples en une journée, ces adeptes du « clic-clac Kodak, j’y étais la preuve » qui avalent les kilomètres de pistes poussiéreuses, le plus rapidement possible, s’arrêtent deux minutes, parfois trois, « immortalisent » le moment parfois sans descendre du tuk-tuk, et repartent vers la cible suivante…), voir ces touristes pressés donc, s’élancer sourire aux lèvres et casquette bien vissée sur le crâne, perdre très vite le sourire, souffler bruyamment, suer à grosses gouttes, atteindre le premier gradin, ôter leur couvre-chef, lever la tête, se dire que le sommet est finalement encore loin, reprendre l’ascension plus humblement, caler au deuxième gradin, jeter un œil noir à cette pyramide narquoise située encore 20 m au-dessus de leur tête, s’essuyer le front, jeter un œil en bas, prêt à renoncer, un rapide coup d’œil alentour, constater qu’ils sont observés, que leur déficience brutale ne passe pas inaperçue, bien au contraire même, elle n’en est que plus flagrante, reprendre l’ascension, une marche, deux, trois, et puis, non, le corps dit non, la mécanique se dérègle, ils se retournent, s’assoient, s’intéressent tout à coup à la texture de la roche, passent un doigt sur la pierre, comme s’ils avaient sué sang et eau pour cela justement : venir s’asseoir sur une marche trop étroite, à mi-hauteur et faire une photo de la surface rocheuse…

Privés de scanner 3D, nous frôlons le chômage technique... alors nous ressortons les fidèles réglets métalliques, une valeur sure qui passe la douane sans problème.


Vous avez dit chômage technique ?


Deux équipes se mettent très vite à travailler en parallèle : Denis, Marie-Françoise et moi complétons nos mesures de 2006 par de nouveaux relevés que nous avions délaissés il y a 2 ans et qui s’avérèrent potentiellement intéressant après-coup. Nous calibrons également nos relevés colorimétriques à partir d’un spectrocolorimètre.


Ceci n'est pas un tagueur
Franck et Olivier testent sur le terrain la méthode d’évaluation de la porosité de surface à l’aide d’éponges de contact. Des éponges humides, pesées au millième de gramme près, sont plaquées sur les parois pendant 30 secondes puis repesées aussitôt. La différence de poids est considérée représentée le volume d’eau absorbée par l’interface rocheuse. Rapportée à la surface de l’éponge on obtient une indication de la porosité. Olivier retrouve le sourire : ce qui marchait en labo, marche également très bien sur le terrain. La manip’ est lancée et les trois gradins est seront ainsi traités dans la journée.

Ceci n'est pas une réunion Tupperware....

Peut-être trop enclins à terminer le dernier gradin, nous n’avons pas trop regarder la montre… la nuit tombe vite et le secteur de Ta Keo est peu fréquenté… plus un seul tuk-tuk libre pour nous ramener sur Siem reap, il faut bien se faire à l’idée qu’il faut rejoindre au plus vite le secteur du Bayon où, normalement, il y a un peu plus de circulation. La nuit est désormais tombée, des sons nouveaux montent de la forêt. Insensiblement, il semblerait que notre pas se fait plus rapide. On disserte sur le nom que l’on donne aux cris des chauves-souris (« elles sifflent » ?), quels oiseaux caquètent ? et les tigres ? feulent-ils ?
Au loin, à environ un kilomètre, nous voyons passer des lumières près de la terrasse aux éléphants. Au fur et à mesure que nous approchons, ces lumières filantes se font moins nombreuses. On se concerte sur le temps de marche pour sortir du site… on se met d’accord sur 2h30 à 3h. Bref, les estomacs gargouillent (çà au moins on est tous d’accord sur le terme) et le dîner est encore loin. Très loin. Tout à coup une mobylette arrive derrière nous. Un garde du parc pense-t-on. Un policier en fait. On lui explique notre léger problème. Quelques échanges en talkie-walkie et il accepte d’embarquer l’un d’entre nous jusqu’à la route principale. Courageusement, nous sacrifions tous en chœur Marie-Françoise qui saute aussitôt sur le porte-bagages de la mobylette…et disparaît dans la nuit. La reverrons-nous ?
Arrivés au bout de cette interminable ligne droite qui nous amène à la terrasse aux éléphants, notre chef de mission est en pleine négociation avec la police locale qui est disposée à nous ramener à l’hôtel contre une petite « gratification ». Ce n’est donc pas un retour en panier à salade digne de ce nom, mais nous voilà bien escortés tout de même.

La police, c'est fantastique !

Rassurez-vous, tout ceci s'est terminé autour d'un inévitable amok et de quelques Tiger beer (elles ne feulent pas, elles défilent).

dimanche 3 février 2008

En temps normal, une mission scientifique s’achève par quelques moments de détente consacrés au tourisme (non qu’il n’y ait d’occasions de détente au cours d’une mission – elles sont nombreuses – mais on en profite davantage lorsque les objectifs scientifiques ont été atteints et que les données « sont dans la boîte »). Ces promesses de détente (chiner au Vieux marché, aller chez le coiffeur-masseur, etc.) viendront en fin de mission, il s’agit de notre carotte en quelque sorte : nous travaillerons comme des mules 12 heures par jour dès notre arrivée avec pour objectif de nous réserver les deux derniers jours pour faire un peu de tourisme. Cependant, nous savons aussi que des contretemps d’ordre technique ou météorologique peuvent ralentir notre travail et qu’il nous faudra alors sacrifier ces journées d’oisiveté pour achever nos objectifs scientifiques… çà, c’est le scénario « normal ». Cette fois, le grippage est venu dès l’amorçage : arrivés samedi soir, nous pensions attaqués dès le dimanche… mais, ici comme en métropole, le dimanche est un jour férié ; impossible donc de récupérer nos pass d’accès au site d’Angkor, ni notre matériel de travail (scanner 3D, station totale, etc.).
Franck : jamais sans ma station totale...

C’est donc fort contrit (vous n’imaginez pas à quel point) que nous avons commencé notre séjour cambodgien par du shopping ; à titre personnel, cela m’arrangeait puisque j’avais emporté le minimum au niveau vestimentaire ayant prévu d’acquérir une garde-robe adaptée aux conditions de travail locales (vêtements fins et amples). A midi, nous avions tous acquis de quoi ressembler à de vrais cambodgiens (qui, eux, bien sur, s’habillent « à l’européenne »).
Loy et Denis
Au hasard d’une rue, Marie-Françoise et Denis et moi-même serons heureux de revoir Loy, notre chauffeur dévoué de la mission de 2006.

samedi 2 février 2008

Destination Siem reap

Les lois du marché aérien étant ce qu’elles sont désormais, notre route vers le Cambodge passe, cette fois, par Incheon, l’île aéroport de la Corée du Sud à quelques encablures de Séoul. Un peu moins de onze heures de vol nocturne, cap à l’est, le temps de faire connaissance avec la cuisine coréenne embarquée (un bibimbab plus ou moins épicé – certains d’entre nous ont vidé le tube d’épices, d’autres se sont montrés plus prudents – en guise d’encas, une soupe aux algues vertes pour lutter contre la déshydratation et un porridge gélatineux au petit-déjeuner), d’avaler 2 ou 3 blockbusters américains, de parfaire virtuellement son swing au golf ou, pour les insomniaques (pour une fois bienheureux), de profiter d’un lever de soleil sur le lac Baïkal, d’une traversée très rapide de la Mongolie (avec vue sur le desert de Gobi) et d’un survol tout aussi pressée d’une Chine septentrionale totalement enneigée. Question météo, Incheon n’a rien à envier à la métropole : +2°C et quelques collines partiellement enneigées entourent les pistes de l’aéroport.
Deux heures de pause, juste le temps de nous disperser dans l’espace des voyageurs en transit et nous réembarquons. Destination Siem reap. A la descente de l’avion, c’est aussitôt la chaleur qui nous assomme : 28°C. Le contraste est rude mais il y a ce parfum de fleurs exotiques qui flotte et qui enchante. Siem reap, ville de 85000 habitants située au nord-est du Tonle Sap, le plus grand lac d’Asie du sud-est. De prime abord, Siem reap pourrait faire figure de ville-dortoir pour touristes pressés puisque son attrait principal ne réside pas en son sein mais à quatre kilomètres du centre-ville : les fameux temples d’Angkor. Il est vrai que les hôtels, toujours plus luxueux, poussent comme des champignons, et la route qui mène de l’aéroport international au centre de Siem reap est un chapelet quasi ininterrompu de ces bâtiments gigantesques aux couleurs vives. Depuis notre dernière mission collective, il y a tout juste deux ans, combien de palaces au luxe quasi obscène auront surgi de nulle part ? Si Angkor constitue évidemment le principal tropisme du centre cambodgien, Siem reap mérite amplement quelques ballades, ne serait-ce que observer les tailleurs de pierre travailler le grès comme il y a mille ans, pour son palais royal également, pour ses nocturnes quasi-quotidiennes où l’on retrouve la jeunesse cambodgienne en fête (nous l’apercevons depuis nos tuk-tuk lorsque nous rentrons à la nuit tombante)... Ce samedi soir, ce sont plutôt les Occidentaux qui envahissent les terrasses des bars branchés autour du vieux Marché. La rencontre du tournoi des Six nations Angleterre-Pays de Galles est retransmise sur écran géant. Et les Britanniques apparaissent finalement beaucoup plus nombreux qu'on ne l'imaginait. Pas de quoi gâcher toutefois notre premier plaisir cambodgien : retrouver la saveur exquise du amok.