Décidément le Cambodge 2008 ne ressemble en rien à celui de 2006 ; nouvelle déconvenue en ce lundi matin : le matériel est toujours bloqué à Phnom penh dans l’attente d’un accord d’importation temporaire de la part des douanes… Au mieux nous le récupèrerons mercredi soir, mais Pascal Royère, enseignant-chercheur à l’EFEO et responsable de la reconstruction du Baphuon, nous rassure en nous relatant la rétention de près de six mois d’une grue de chantier… alors 3 jours de plus… Olivier et Franck font un peu la grimace, on les comprend… Y aurait-il un chat noir dans l’équipe ?
Nous partons quand même sur le Ta Keo et à 10h on retrouve enfin « notre » monument. Ce temple-montagne fut érigé à la fin du Xe siècle, entre l’an 975 et l’an 1000 environ durant le règne de Jayavarman V (968- c.1000). Jadis nommé « la Montagne aux sommets d’or », il a la particularité d’être le premier temple angkorien armé de grès de la base au sommet. Comme les autres temples, il est fait d’un tas de sable contenu par une structure en latérite, cette dernière étant donc, ici, recouverte par un coffrage en grès. Ta Keo marque l’aboutissement du temple-montagne khmer. Sa pyramide présente des dimensions colossales : 100 m x 120 m à la base, 47 m x 47 m au sommet de la plate-forme supérieure qui domine de 38 m le sol environnant. Ce temple-montagne à cinq gradins est surmonté par cinq tours, allégorie terrestre des cinq sommets du
Mont Méru de la tradition hindoue. Il faut être au pied de ce monument pour se rendre compte de son imposante stature : assurément les escaliers qui parent ces bâtiments n’étaient pas faits pour être gravis quatre à quatre : les marches sont étroites (une dizaine de centimètres de profondeur) et leur hauteur dépasse parfois 50 cm ! Il est amusant de voir les touristes pressés (ceux qui veulent « cocher » le maximum de temples en une journée, ces adeptes du « clic-clac Kodak, j’y étais la preuve » qui avalent les kilomètres de pistes poussiéreuses, le plus rapidement possible, s’arrêtent deux minutes, parfois trois, « immortalisent » le moment parfois sans descendre du tuk-tuk, et repartent vers la cible suivante…), voir ces touristes pressés donc, s’élancer sourire aux lèvres et casquette bien vissée sur le crâne, perdre très vite le sourire, souffler bruyamment, suer à grosses gouttes, atteindre le premier gradin, ôter leur couvre-chef, lever la tête, se dire que le sommet est finalement encore loin, reprendre l’ascension plus humblement, caler au deuxième gradin, jeter un œil noir à cette pyramide narquoise située encore 20 m au-dessus de leur tête, s’essuyer le front, jeter un œil en bas, prêt à renoncer, un rapide coup d’œil alentour, constater qu’ils sont observés, que leur déficience brutale ne passe pas inaperçue, bien au contraire même, elle n’en est que plus flagrante, reprendre l’ascension, une marche, deux, trois, et puis, non, le corps dit non, la mécanique se dérègle, ils se retournent, s’assoient, s’intéressent tout à coup à la texture de la roche, passent un doigt sur la pierre, comme s’ils avaient sué sang et eau pour cela justement : venir s’asseoir sur une marche trop étroite, à mi-hauteur et faire une photo de la surface rocheuse…
Privés de scanner 3D, nous frôlons le chômage technique... alors nous ressortons les fidèles réglets métalliques, une valeur sure qui passe la douane sans problème.
Vous avez dit chômage technique ? Deux équipes se mettent très vite à travailler en parallèle : Denis, Marie-Françoise et moi complétons nos mesures de 2006 par de nouveaux relevés que nous avions délaissés il y a 2 ans et qui s’avérèrent potentiellement intéressant après-coup. Nous calibrons également nos relevés colorimétriques à partir d’un spectrocolorimètre.
Ceci n'est pas un tagueur
Franck et Olivier testent sur le terrain la méthode d’évaluation de la porosité de surface à l’aide d’éponges de contact. Des éponges humides, pesées au millième de gramme près, sont plaquées sur les parois pendant 30 secondes puis repesées aussitôt. La différence de poids est considérée représentée le volume d’eau absorbée par l’interface rocheuse. Rapportée à la surface de l’éponge on obtient une indication de la porosité. Olivier retrouve le sourire : ce qui marchait en labo, marche également très bien sur le terrain. La manip’ est lancée et les trois gradins est seront ainsi traités dans la journée.
Ceci n'est pas une réunion Tupperware....
Peut-être trop enclins à terminer le dernier gradin, nous n’avons pas trop regarder la montre… la nuit tombe vite et le secteur de Ta Keo est peu fréquenté… plus un seul tuk-tuk libre pour nous ramener sur Siem reap, il faut bien se faire à l’idée qu’il faut rejoindre au plus vite le secteur du Bayon où, normalement, il y a un peu plus de circulation. La nuit est désormais tombée, des sons nouveaux montent de la forêt. Insensiblement, il semblerait que notre pas se fait plus rapide. On disserte sur le nom que l’on donne aux cris des chauves-souris (« elles sifflent » ?), quels oiseaux caquètent ? et les tigres ? feulent-ils ?
Au loin, à environ un kilomètre, nous voyons passer des lumières près de la terrasse aux éléphants. Au fur et à mesure que nous approchons, ces lumières filantes se font moins nombreuses. On se concerte sur le temps de marche pour sortir du site… on se met d’accord sur 2h30 à 3h. Bref, les estomacs gargouillent (çà au moins on est tous d’accord sur le terme) et le dîner est encore loin. Très loin. Tout à coup une mobylette arrive derrière nous. Un garde du parc pense-t-on. Un policier en fait. On lui explique notre léger problème. Quelques échanges en talkie-walkie et il accepte d’embarquer l’un d’entre nous jusqu’à la route principale. Courageusement, nous sacrifions tous en chœur Marie-Françoise qui saute aussitôt sur le porte-bagages de la mobylette…et disparaît dans la nuit. La reverrons-nous ?
Arrivés au bout de cette interminable ligne droite qui nous amène à la terrasse aux éléphants, notre chef de mission est en pleine négociation avec la police locale qui est disposée à nous ramener à l’hôtel contre une petite « gratification ». Ce n’est donc pas un retour en panier à salade digne de ce nom, mais nous voilà bien escortés tout de même.
La police, c'est fantastique !
Rassurez-vous, tout ceci s'est terminé autour d'un inévitable amok et de quelques Tiger beer (elles ne feulent pas, elles défilent).